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19 juin 2017

Décor #4

Bureau du commissaire Edouard Coleman (reconstitution), 2017 - Photo © Yannick Vallet

Film : Un flic
Adresse : inconnue (16e arrondissement de Paris)

Si dans Le samouraï et Le cercle rouge, les lieux-refuges des héros sont de véritables lieux de vie - des appartements édifiés pour cette fonction - dans Un flic, le lieu-refuge de Coleman est en fait son bureau professionnel.
N'oublions pas que la première de ses interventions commence par ces mots « Chaque après-midi à la même heure, je commençais mon périple par la descente des Champs-Elysées. » Et avant ? Avant l'après midi, où est-il ? Que fait-il ? Où mange-t-il ? Où dort-il ? Où se lave-t-il ? On ne le saura jamais car son chez lui c'est son bureau, dans son commissariat. Peu importe où il vit, son adresse administrative n'a aucun intérêt car sa vie c'est son métier et uniquement son métier. Tout entier symbolisé par ce bureau.
L'antre de Coleman (au même titre d'ailleurs que la chambre de Costello) est le lieu où lui seul décide, le lieu où il est le patron, le lieu d'où part chacune de ses décisions que ce soit pour lui-même, comme dans le cas du Samouraï, ou comme ici lorsqu'il doit diriger son équipe. Le parallèle avec le bureau de Melville le cinéaste est, à ce titre, éloquent. Et le bureau-meuble inséré dans le bureau-pièce rappelle de manière troublante la plupart des grandes interviews qu'a pu donner le réalisateur. Car toutes commencent de manière identique : Melville, assis derrière son imposant bureau est en train de lire, d'écrire ou de téléphoner puis, comme s'il venait de signifier au journaliste qu'il était prêt, celui-ci commence son travail d'intervieweur.
Et dans Un flic c'est à peu prés la même chose. A chaque fois qu'on découvre Edouard Coleman au commissariat, celui-ci est assis à son bureau, en train de lire un document ou de l'annoter. Et même lorsqu'il n'y est pas encore mais qu'il entre dans la pièce (comme lors de l'arrestation de Costa), il se précipite sur sa chaise et s'y assoit, comme pour bien signifier qu'il est le boss.
Le créateur et sa créature, chacun dans leur univers, l'un réel, l'autre fictionnel, comme une image identique mais inversée de la vie :
« Mon univers personnel est un univers réel dans lequel entre, quand même, pour partie, un élément de spectacle, puisque mes murs, mes meubles et mon cadre, c'est ce que j'aime regarder. À partir du moment où je regarde, ce que je vois c'est du spectacle même si c'est immobile, même s'il n'y a pas d'auteur ; mais j'ai choisi des meubles, j'ai choisi des couleurs de mur, j'ai choisi des objets. Alors cet univers réel est à l'origine de mon univers irréel dans mes films puisque, et je ne le fais jamais exprès, on me l'a fait remarquer, on retrouve tellement souvent des éléments de décor sur mes plateaux, sur mes décors de films qui existent chez moi à l'état d'embryon quelquefois, ou à l'état d'intention. » [1]

[1] Jean-Pierre Melville interviewé par André S. Labarthe pour le documentaire Jean-Pierre Melville : portrait en neuf poses (Cinéastes de notre temps, 1971)