Même si la totalité du projet "Melville, Delon & Co" est accessible librement
(aucun code ou mot de passe n'est requis),
il est proposé à chaque visiteur de payer
un droit d'entrée minime de deux euros
afin de participer à la rémunération de l'auteur.

Bonne visite à tous !







16 avril 2017

Fragments #2

Fragments #2, derniers regards, 2017 - Vidéo sonore 0'55" © Yannick Vallet (d'après Jean-Pierre Melville)

Comme la prémonition d'une dernière fois, le héros melvillien regarde toujours derrière lui lorsqu'il sait que tout est joué. Que tout est fini.
Jef Costello, bien sûr, qui quitte son appartement alors qu'il sait probablement qu'il ne reviendra jamais dans ces lieux. Et plus tard, lorsqu'il repart de chez Jane après avoir prononcé une sentence à double sens (on le découvrira à la fin) : "Ne te fais pas de bile, je vais tout arrangé". Sauf que cette fois-ci, trop submergé par ses propres émotions, il n'osera pas soutenir le regard de celle qu'il aime et, sans se retourner vraiment, se contentera d'un léger regard en coin.
Dans Le cercle rouge, alors qu'il semble plutôt confiant avant de se rendre au rendez-vous de Louveciennes pour livrer les bijoux volés, Corey ne peut s'empêcher d'esquisser le même regard que dans Le samourai. Un rituel décrit par Xavier Cannone dans son ouvrage consacré au réalisateur [1] :
"… il y aura donc de même chez Melville une façon de sortir, un détail des adieux qui est un autre signal adressé au spectateur : regard circulaire dans la pièce que l'on quitte, la main appuyée sur la poignée de la porte en un geste suspendu. "
Et enfin, Le flic, Edouard Coleman qui regarde une dernière fois sa maîtresse, Cathy, dont il vient d'abattre l'amant à deux pas de l'Arc de triomphe, avant de reprendre le volant de sa voiture de fonction, pour une énième ronde. Et puis, particulièrement troublant, ce regard extrêment pudique et rapide que Coleman a du mal à cacher lorsqu'il congédie Gaby, son indic-travesti auquel il semblait très attaché mais qui n'a pas su lui donner les bons renseignements.

Ce rituel du héros melvillien montre ici à quel point celui-ci est seul. Seul face à son destin. Seul face à l'adversité. Seul face à sa nostalgie. Car oui, le héros melvillien regarde en arrière car il est nostalgique, nostalgique de sa vie passée et de ce qu'il a été …
A l'image de son créateur :
« La nostalgie, je crois que je la porte tout à fait en moi. Je suis un homme du passé, je suis un passéiste comme on dit, j'aime infiniment plus ce qui est arrivé aux hommes et aux femmes de ma génération que ce qui leur arrive maintenant. » [2]


[1] Requiem pour un homme seul. Le samouraï de Jean-Pierre Melville (page 90)
[2] In Jean-Pierre Melville : portrait en neuf poses de André S. Labarthe (Cinéastes de notre temps, 1971)